De quel pain, sommes-nous faits ?

Il est toujours assez surprenant de réaliser que ce que nous croyons objectif se dissipe en fumée. Que ce prétendu réel sous nos yeux ne serait qu’un habit derrière lequel se cache une réalité autre, et que nous serions éblouis par la multitude des reflets sur le mur de nos perceptions, ou de la perception des appareils qui capturent les bribes de lumière sur leurs écrans, celle-ci étant passée par le tube des objectifs, canal étroit menant à la chambre noire des papiers imprimés comme de notre rétine. Autrement dit cela tombe toujours dans l’œil aveugle, et nous embarrasse beaucoup pour affirmer au fond de quel objet il s’agit dans sa réalité en soi, réellement, essentiellement. Bon, on ne dira pas qu’il n’y a rien, ce serait excessif. Non plus que le concret s’avère n’être que pure abstraction ou subjectivité n’ayant aucun objet à se mettre sous la dent. Il peut y avoir là de nombreux malentendus. Tout ne serait qu’un jeu de cache-cache entre des fantômes sans existence sauf ces illusions génératrices d’apparences d’objets, dont la nature profonde serait comme au bal, le mouvement des danseurs, la musique, les flons flons. les spots, les vagues des océans. Par quel bout pourrions-nous entrevoir une issue vers le réel objectif , ou carrément le voir dans sa rondeur ? Sans sortir de son corps, dans le dédoublement de notre personnalité ? Ou cette ubiquité du sujet objet ?

Subrepticement il surgit à notre insu. Il s’avère que nous le savons et n’avons fait qu’oublier de quoi il s’agit. Quand nous sommes traversés par ces émotions, dans ces relations ou translations, par ces fonctions d’ondes, d’émissions évocatrices d’immensités et de profondeurs, sidérés par les nombres et les grandeurs, comme lors d’un vertige en haute montagne. Nous le savons aussi par le bien et par le mal dans nos chambres d’écho, par la honte et par les larmes, par le feu de nos souffrances. Et par le bonheur de la consolation, et du repos.

Certains me diront que cela ne sert à rien de penser tout cela, de se pencher ainsi sur l’abîme, sur l’insondable ou l’inconnaissable, qu’il ne signifie rien pour nous, ou n’indique rien d’utile pour répondre à nos besoins réels de pain très concret. Peut-être ont-ils raison et qu’il faut rester pragmatique en tout point, commencer par le commencement, et non par la fin. Que la vie débute par le charnel devant se sustenter. Que chercher notre vie dans l’absolu d’un réel éloigné est pure folie. Comme lorsqu’on observe les étoiles et qu’on est dissout aux limites du pensable.

Que répondre ? Que nous serions de cette nature double et ambiguë d’un corps subjectif et d’une âme objective ? Que la matière est spirituelle, et que l’esprit s’y matérialise. Dans un nombre impressionnant de formes, ayant quelque chose à y faire.

Sciemment ou inconsciemment.

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